Suicide: La détresse des autres doit nous interpeller

Par Éditions Nordiques 8 juillet 2015
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«La détresse des autres nous concerne. Il ne faut pas attendre les signes, mais manifester notre intérêt et notre inquiétude à quelqu’un qui vit un coup dur.»

Par Charlotte Paquet

Avec 14 suicides survenus de janvier à mai 2015 sur la Côte-Nord, ce qui correspond à la moyenne annuelle des 10 dernières années, le conseil de Jean-Pierre Dupont, formateur au Centre de prévention du suicide (CPS) de la Côte-Nord depuis 20 ans, prend plus que jamais son sens. Au-delà des signes de détresse que peut manifester une personne et qu’il faut savoir reconnaître, on invite aujourd’hui les citoyens à être proactifs d’une certaine façon.

Les coups durs prennent diverses formes. La perte de son emploi, la rupture dans son couple, le diagnostic d’une maladie dégénérative ou le décès d’un enfant sont des exemples d’épreuves difficiles à traverser. «D’emblée, les gens n’ont pas nécessairement le goût de s’ouvrir sur ce qu’ils vivent. En les interpellant, ils n’auront pas l’impression de vivre ça seuls et ils n’auront pas l’impression que ce qui leur arrive ne préoccupe pas les autres. S’intruser, ça fait une différence», insiste M. Dupont.

Une personne qui vit des moments éprouvants et qui va chercher de l’aide pour une première fois n’hésitera pas à faire la même chose si d’autres tuiles lui tombent sur la tête.

«Les hommes qui ne sont jamais allés chercher de l’aide sont hésitants, mais une fois qu’ils l’ont fait, ils se disent: “C’est le plus beau cadeau que je me suis fait, raconte le formateur.

Fait à noter, des 14 personnes qui se sont enlevé la vie en cinq mois dans la région, dont six en cinq semaines en avril et en mai, aucune n’avait eu recours aux services du CPS. Les services du centre sont cependant en demande avec une hausse de 33,6 % sur une période de cinq ans, dont 5,5 % en 2014-2015.

Jean-Pierre Dupont (Photo: Le Manic)

Jean-Pierre Dupont (Photo: Le Manic)

Du jamais-vu

En 20 ans, M. Dupont a vu neiger dans son domaine, mais un bond d’une telle ampleur du nombre de suicides en aussi peu de temps est du jamais-vu. Il se dit incapable de l’expliquer. Oui, le ralentissement économique fait mal, mais il ne faut pas établir un lien de cause à effet. «Il ne faut pas associer crise économique et suicide. Quand on le fait, on arrive à une conclusion trop rapide», mentionne-t-il.

Selon M. Dupont, il ne faut pas perdre de vue non plus que bien des gens traversent des drames humains épouvantables et ne s’enlèvent pas la vie pour autant.

En réaction à la remontée du nombre de suicides, un portrait régional des personnes qui se sont enlevé la vie au cours des cinq dernières années sera dressé. Il permettra de valider certains éléments en lien avec la situation dans l’ensemble du Québec.

Le taux de suicide sur la Côte-Nord a toujours été très élevé par rapport à la moyenne provinciale. On se souviendra des sommets de 35 décès en 1995 et de 32 en 1996. Depuis une dizaine d’années, une certaine stabilité autour d’une quinzaine de suicides est observée si l’on exclut 2011, une année considérée comme exceptionnelle avec sept pertes de vie.

Malgré 14 suicides en cinq mois, l’un confirmé et les 13 autres présumés par le bureau du coroner, M. Dupont refuse d’anticiper une année 2015 catastrophique. «Il faut attendre. On peut espérer que ça se tasse», conclut-il.

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«Appelez-moi, j’ai besoin d’aide»

La lutte au suicide s’orchestre principalement autour de l’importance d’aller chercher de l’aide quand on a l’impression que plus rien ne va. Invité à détailler quelques exemples de situations d’intervention tout en préservant la confidentialité des personnes concernées, Jean-Pierre Dupont raconte ce qui suit.

Il y a quelques années, pendant le temps des Fêtes, M. Dupont a découvert ce message laissé sur une boîte vocale :

«Appelez-moi, s’il vous plaît. J’ai besoin d’aide.»

Un père en pleine crise à la suite d’une rupture criait au secours. «Je l’ai rencontré tous les jours du lendemain de Noël jusqu’à la veille du Jour de l’An», raconte M. Dupont. Avec lui, c’était au jour le jour, c’est-à-dire que l’important était de savoir comment il planifiait passer la journée du lendemain.

Aujourd’hui, cet homme a repris sa vie en main de belle façon et se dit conscient que, sans le support de l’intervenant, il ne serait plus là.

Parmi les nombreux exemples qu’il a en tête, le professionnel se souvient aussi de cette maman qui voulait en finir avec la vie. «Ma mère est plus une mère pour ma fille que moi. Je peux m’en aller», avait-elle confié à M. Dupont. Ce dernier lui a fait réaliser qu’une mère, même si elle est à temps partiel, vaut mieux qu’une mère qui n’est plus là.

«Une personne en détresse en arrive à une distorsion cognitive incroyable. Il faut l’amener à voir que la réalité est peut-être moins tragique que la représentation qu’elle s’en fait», insiste le formateur.


 

 

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